Témoignages

Grâce à une transplantation cardiaque au mois d'août 1992 et les semaines de réadaptation. d'entraînement et de préparation. je me sentais enfin prêt. Je fus "largué" par ma femme. avec armes et bagages. sur le parking du "Kayak-Klub" de Schoten.

Nous avons pris la route en colonne et sous une pluie ruisselante. direction Arnhem aux Pays-Bas. Les prévisions météorologiques étaient vraiment mauvaises et cela promettait de devenir un temps typique pour le kayak avec ses pluies et vents de 4 à 6 sur l'échelle de Beaufort. Une expédition impitoyable m'attendait. 

Dimanche matin. 6 h 30. heure d'hiver. le départ est proche. Tout est d'abord chargé et rangé dans le kayak. j'y prends place. je mets mes écouteurs. je ferme les anti-éclaboussures et me voilà parti pour quelques heures avec l'accompagnement musical de Dolly Parton.

Beep. tiens. nous naviguons déjà une demi-heure. pulsations 130. c'est excellent ; bien suivre le courant. garder l'extérieur dans les tournants. bien croiser les couloirs. de temps en temps se retourner pour voir s'il n'y a pas d'allèges qui empruntent ce même courant. Celles-ci naviguent pour leur pain quotidien et ne cèdent pas le passage pour un kayak.

Beep. déjà une heure de route. pulsations 128. J'ai déjà retourné deux fois ma "K7" de Dolly Parton et il est temps que je cherche une autre bande.

Beep. deux heures que je pagaye. Je suis déjà fortement en transpiration. je dois faire attention à ne pas attraper un rhume ; le soleil fait ce qu'il peut pour passer les nuages. mais le vent s'est levé et il fait froid. Ah ! Je vois le poste de contrôle des 35 km.

Cela a été vite. 2H30. pulsations 132. tout va bien. J'amarre et je tire le kayak sur la rive et je vais chercher un ticket de contrôle. Je me mets à l'abri du vent ; j'entame ma provision de tartines et le café chaud est le bienvenu. mais il fait trop froid pour tarder. Je reprends place dans le kayak et je repars. Je n'ai pris que vingt minutes d'arrêt.

Paeshuys

La force du vent s'est encore accrue. mais... il faut continuer à pagayer. à suivre le courant. à couper les couloirs. à s'écarter des allèges avec leurs vagues qui vous foncent dessus ou vous dépassent.

Entre-temps. j'ai déjà dépassé une quinzaine de participants. donc. tout va pour le mieux. L'heure avance et le vent devient de plus en plus fort. Enfin. j'ai Deventer en vue. so far so good; j'amarre le kayak et je recherche un deuxième ticket de contrôle. Deventer est un poste de contrôle et en même temps l'arrivée des 50 km. Les participants des 77 et 100 km continuent.

Avec mon sac de vêtements et provisions. je cours vers les vestiaires du kayak-club local. pour ne pas prendre froid. Le vestiaire est plein comme un oeuf et vu le temps. plusieurs participants des 77 et 100 km décident d'arrêter. Il faut savoir que les rives deviennent de plus en plus basses et qu'on est moins protégé alors contre le vent. Je me déshabille en toute hâte. je m'essuie et mets des vêtements secs. J'apprécie.

Je repars pour une troisième fois. avec mes écouteurs et une nouvelle K7 dans mon Walkman. Le vent est à l'extrême comme ils l'ont dit dans les vestiaires. de face et contre le courant. ce qui provoque de solides vagues ; c'était ma lutte contre les éléments de la nature avec cette fois l'accompagnement musical de Tina Turner. "Rowing on the river".

Beep. déjà une heure de route à nouveau. pulsations 145. cela monte ; c'est le moment de respirer un peu plus "professionnellement" : respirer par le nez. expirer deux fois plus longtemps par la bouche. tendre les bras un peu plus loin et se courber un peu plus pour éviter le vent. Il commence à pleuvoir maintenant. cela devient vraiment... agréable.

paeshuys

Beep. déjà 1 h 30 à pagayer. pulsations 150 et elles ne veulent plus descendre. mais tout est O.K. et l'arrivée ne peut plus être très loin.

Dans le lointain. je vois des ombres. des caravanes. peut-être. parce que l'arrivée est prévue sur le camping de Kromholt. Oui. c'est bien ça. je peux distinguer les gens déjà.

Ils me font signe que je peux accoster droit sur la rive et ils me tirent. kayak compris. hors de l'eau. On me félicite et je file au pas de course vers une voiture chauffée. Quel luxe !

Le vent était monté à 7 sur l'échelle de Beaufort et la police d'État avait défendu de continuer l'épreuve. Un peu plus tard. mes pulsations étaient descendues à 108 et en temps normal. j'aurais certainement pu finir les 100 km.

Je suis content de ma prestation et cela après 14 mois de greffe. tout ceci grâce à mon donneur.

Charles Paeshuys
Journal n° 2 - Décembre 1993

 

Témoignages


Ma carte d'identité prétend que j'ai 61 ans. mais je fête mon premier anniversaire "renaissance" durant mon check-up annuel à l'hôpital Erasme. Nous aurions pu uniquement célébrer cet évènement en famille. mais mon entourage m'a poussé à intéresser tout le monde à cet anniversaire. Il s'agit en fait d'un exploit de la science.

Je ne peux en effet me satisfaire égoïstement des résultats obtenus pour moi. Mon donneur et moi vivons en harmonie pour la joie de nos familles respectives. sans que nous ne nous connaissions.

J'ai fait l'expérience des problèmes et des questions soulevées par une transplantation. Quand je parle. j'observe toujours un regard de surprise chez l'interlocuteur confronté à un "miraculé de la science". Tous les transplantés pourraient vous dire cela... 

Lorsqu'on m'a parlé pour la première fois d'une transplantation cardiaque. tout s'est écroulé autour de moi. La première question qui m'est venue à l'esprit :
"Une chose pareille est-elle possible en Belgique ? 
Cela ne doit-il pas nécessairement se faire en Amérique ?"

Je ne pouvais plus faire d'effort depuis juin 1978. Depuis neuf ans déjà. je vivais sous contrôle médical. Je faisais confiance aux conseils. aux médications et aux régimes prescrits par les cardiologues. Un premier arrêt cardiaque m'amena en août 1980 à un repos pratiquement complet. C'était un nouvel avertissement qui laissait présager un avenir très sombre....

Après trente ans de mariage. ma femme et moi avons tout analysé ensemble et discuté tous nos sentiments. sauf un secret. Nous avons fait de nouveaux projets... il s'agissait notamment de quitter une maison devenue trop grande et de chercher un logis plus adapté. c'est-à-dire pour une invalidité encore plus grave. ou pour. soyons francs. une épouse devenue veuve. Nous avions toutefois le grand bonheur de voir nos enfants heureux dans leur mariage et dans leur profession. Nous avions également pris toutes nos dispositions pour la succession

En octobre 1986. le verdict est tombé : seule une transplantation cardiaque pouvait me sauver. Une conversation franche eut lieu entre mon épouse et moi. Elle m'avoua alors le secret qu'elle avait pu garder pendant six ans : elle avait été avertie alors par les cardiologues que je n'avais plus qu'au maximum deux ans à vivre et qu'il fallait me faciliter la vie. Elle m'avait soigné et laissé faire tout ce que je désirais avec résignation. mais aussi parfois avec peur. 

Mon médecin traitant m'a alors envoyé une personne transplantée qui m'a aidé par son apparence et sa sérénité à prendre la lourde décision. J'ai été transféré à l'hôpital Érasme à Bruxelles. Je suis arrivé alors dans les "mains d'or" du professeur Primo et de son équipe.

J'ai dû attendre un coeur durant trois semaines. Le jour J. un médecin nous annonça la "Grande Nouvelle". Ma femme et moi sommes tombés dans les bras l'un de l'autre. heureux. mais en larmes. Tout s'accéléra alors... encouragements de la psychologue. visite de l'infirmière coordinatrice de transplantation. entrevue avec l'anesthésiste... et je me suis trouvé dans l'antichambre de la salle d'opération. L'anesthésiste m'a fait une piqûre dans la main gauche. j'entendis encore des bruits de linge et puis je me suis endormi.

C'était simple pour moi. mais pour mes proches. l'attente stressante de la fin de l'intervention commençait. Mon épouse avait à l'origine pensé n'avertir les enfants... qu'une fois l'intervention terminée. mais elle se ravisa pensant que si cela tournait mal. ils lui en voudraient de ne pas avoir été tenus au courant. Ils sont arrivés le plus rapidement qu'ils ont pu auprès de leur mère. L'attente était régulièrement interrompue par le rapport que la coordinatrice venait leur faire de l'évolution de l'intervention. La famille avait vu entrer dans la salle d'opération le coffre contenant le coeur tant attendu. Après des heures. on leur annonçait que tout allait bien et que le coeur s'était à nouveau remis à battre en moi. Ma fille aînée a dû secouer mon épouse pour le lui faire réaliser : "Il bat !" Elle n'avait qu'une idée : il vit encore. Une petite heure plus tard. je suis sorti de la salle d'opération. escorté par une équipe médicale qui m'a descendu à l'unité de réanimation.

Une première visite eut lieu le lendemain midi. Je ne me souviens que d'une chose. d'une image vague. jaune et en négatif. C'est ainsi que j'ai vu mon épouse. Elle m'encourageait. mais je ne pouvais répondre à ses questions. Intubé. je ne pouvais lui répondre que par des clignements d'yeux pour lui faire comprendre "oui" ou "non". J'étais découragé à ce moment. ne sachant pas au juste ce qui m'était déjà arrivé. Je me demandais si j'étais encore endormi et si l'intervention avait déjà eu lieu. J'ai été soulagé quand j'ai entendu dans l'après-midi la voix du professeur Primo qui me disait qu'il savait que je ne pouvais pas encore réagir à ce moment. mais que tout s'était bien passé. Ma réaction vis-à-vis de mon épouse a été de dire : "Chérie. pourquoi m'as-tu posé des questions plutôt que de me dire que tout était passé ?

J'ai gardé très peu de souvenirs des quatre premiers jours. Tout m'a été raconté par mon épouse qui est beaucoup restée près de moi dans ma chambre. une fois que j'ai quitté l'unité de soins intensifs.

J'étais très heureux de voir l'aînée de mes petites-filles (9 ans) qui. malgré sa méfiance enfantine pour la clinique. est venue me voir. Elle n'avait jamais connu un bon-papa actif. Elle me demanda énergiquement de venir promener avec elle dans le hall. Durant son retour vers la maison. elle a dit spontanément : "Ah !. maman. que je suis contente. bon-papa a un nouveau coeur. moi j'ai un nouveau bon-papa !"

Après de bons soins. je suis rentré à la maison pour le Nouvel An 1987. avec un nouveau coeur. dans une nouvelle maison. Mon épouse avait en effet profité de mon séjour à l'hôpital pour déménager et tout installer dans notre nouveau "chez nous".Les frais de l'hôpital sont arrivés. mais là aussi. nous avions pris nos précautions. Les mois d'hiver ne m'ont pas permis beaucoup d'exercice au grand air. Je me suis entraîné sur un home-trainer avec ma nouvelle énergie. 

Nous avons remercié tous ceux qui proposaient encore de nous aider. mais petit à petit. je pouvais à nouveau faire du bricolage et terminer les petits travaux qui avaient été commencés dans la maison. Avec le soleil d'été. j'ai tout à fait récupéré : travaux de jardinage. promenades. balades à vélo ont agrémenté cette belle saison. Pour mes 61 ans. les enfants avaient organisé une fête : une promenade à vélo (15 personnes) dans la Campine. Ils avaient pendu à mon vélo une banderole : "Qu'il est bon d'être jeune à 61 ans".

En septembre. j'étais présent aux Jeux mondiaux pour transplantés (Innsbruck) pour témoigner de ce que le progrès médical permet actuellement. J'ai participé aux 20 km à vélo dans les montagnes. avec l'esprit olympique : "Participer est plus important que gagner".Au départ. l'infirmière a pris ma pression sanguine. l'excitation me l'avait fait monter.

Tous les transplantés cardiaques sont prêts à partager leur enthousiasme et leur expérience avec ceux qui en ont besoin. En établissant des contacts entre nous et en encourageant les candidats à la transplantation cardiaque. nous répondons aux objectifs de l'Association Nationale des Greffés Cardiaques.


Témoignages

 

Enfin je respire ...

 

On a nous demandé de vous parler surtout de notre vécu, de ce que nous avons ressenti. Ce que je vais tenter de faire, mais je tiens cependant à préciser qu’il ne s’agit que de mon expérience, une parmi tant d’autres. Voici l’avant, le pendant et l’après.

Tout commence avec un emphysème et la terrible toux du fumeur et les remarques « attention tu vas cracher tes poumons » me disait-t-on alors de façon prémonitoire.
Ensuite se sont 36 petits obstacles qui deviennent de plus en plus dur. On commence par prendre escalators et ascenseurs là où il n’y a que quelques marches à monter. Mais de plus en plus ces marches vont se transformer en Himalaya. Et plus tard, pire encore, une souffrance, où on arrive à l’étage complètement essoufflé et à la recherche d’Oxygène avec une respiration haletante comme si on venait de terminer un marathon.
Quand je travaillais, mon bureau n’était qu’à 15 min de marche de la gare et cela constituait pour moi ma petite balade matinale par tous les temps. C’était mon alibi sport-je ne fais pas beaucoup de sports mais je marche « beaucoup ». Pourtant arriva le temps où ces 15 min devinrent 20 pour ensuite être remplacées par le métro, malgré le détour effectué par ce dernier.
On commence alors à se poser des questions et je me décide à aller voir un spécialiste le professeur Rodenstein, pour ne pas le nommer Nous sommes en 2004. Le professeur fut le point de départ et le moteur de toute l’aventure. Il n’était pas encore question de greffe mais de revalidation pour me stabiliser voire améliorer quelque peu ma capacité respiratoire. Rien n’y fait fin 2005 il m’annonce que la seule solution est la greffe.
Alors le monde s’écroule autour de moi, la douche froide. Pour moi la greffe était l’opération suprême. J’avais toujours en tête le docteur Barnard avec ses transplantés qui mourraient après 15 jours, bref qui ne survivaient pas longtemps.
C’est en sortant d’une de ses consultations qui je vis un stand d’information sur le don d’organe dans le grand hall de St Luc, et j’y rencontrai mon premier greffé pulmonaire qui avait l’air de bien se porter. Patrick Forrer, c’est bien lui, devenu ami depuis, me parla avec tant de verve et de détails sur la transplantation qu’après cinq minutes je lui demanda un siège et un verre d’eau.
Janvier premier séjour en clinique pour une crise aigue de BPCO (il y en aura trois avant la greffe : chaque fois 15 jours de cure d’Oxygène, de Kiné respiratoire et d’aérosols divers). En février les examens pré-greffe, à Montgodinne sous la houlette du professeur Delaunoy. Ce qui ne fut pas une sinécure (les examens bien sûr pas le professeur)et ensuite l’inscription suivi par six mois de souffrance, de plus grande dépendance à l’Oxygène en me disant que si l’opération n’arrivait pas plus vite j’allais mourir étouffé.
Cette souffrance est souvent difficile à expliquer au gens dit normaux. Souvent même les plus proches ne se rendent pas bien compte de ce qui se passe en nous. Car respirer est une chose si normale, si automatique tellement évidente que l’on n’y pense même pas. En plus on ne voit pas la maladie, il n’y a pas de fièvre, certes nous n’avons pas bonne mine et encore. Je me souviens être parti en vacances, et fait de belles ballades…en chaise roulante et d’être revenu légèrement bronzé. Alors cela faisait drôle d’entendre les gens dire : mais tu as bonne mine donc tu vas mieux. Alors que cela allait de mal en pire. Je devins aussi de plus en plus dépendant de l’apport d’Oxygène avec toute les angoisses que cela comporte et on se demande jusqu’où cela va aller, c’est comme la drogue ou l’alcool : on commence par un joint ou un verre pour progressivement prendre des substances de plus en plus forte et ce jusqu’à la mort. J’avais l’impression que mes poumons étaient comme un arbre que l’on élague dont on coupe progressivement les feuilles, les petites branches puis les grosses.
On compte ses respirations. On pense avec terreur au jour où cet Oxygène n’arrivera plus à destination éteignant ainsi la lumière de la vie, le noir. La peur de la souffrance de la mort par étouffement est omniprésente.

Et puis arrive le jour J, avec le coup de fil tant attendu de Montgodinne, le 7 septembre 2006. Certain l’appelle le coup de téléphone salvateur, moi je dois l’avouer je n’étais pas fier et après une belle montée d’adrénaline j’avais le trouillomètre en hausse. Mon dernier souvenir avant quasi 48h de sommeil était le placement d’un Baxter aux urgences ensuite plus rien le trou noir !
En émergeant je ne reconnu plus grand-chose, je ne vis que des yeux penché sur moi. Des regards, certains familiers, qui me scrutent, s’inquiètent, se préoccupent, me sourient, beaucoup de regards de femmes. Je me dis alors que c’est beau les yeux d’une femme qui sourie. Tout doucement s‘effectue mon atterrissage sur terre et après un certain temps premier réflexe, première angoisse est ce que je respire. Oui, les autres ne m’ont pas raconté d’histoires, je respire tout seul.
Suivi alors un séjour d’une dizaine de jours en soins intensifs. Pas la meilleure expérience. Pour le peu que je m’en souvienne : il n’y avait pas moyen de dormir convenablement sur le dos. La nourriture était infâme et puis bien sûr il y avait les douleurs et ces foutus drains. Je tiens à dire que le personnel soignant était au petit soin ….sauf et comme partout il y avait la méchante. Je me disais mais nom d’un pétard qu’est ce que je lui ai fait. Et le pire, c’est que je n’arrivais pas à m’exprimer, les mots s’entrechoquaient dans ma bouche n’en sortait qu’un gargouillement incompréhensible.
Er alors que dire de cette chère morphine et sa petite pompe à injection. Drogué jusque derrière les oreilles il m’arrivait d’halluciner, je voyais des gens entrer dans ma chambre par une petite porte à droite…il y avait ni de gens ni de portes à droite. Que dire aussi de cet ours qui me rendait régulièrement visite, il n’avait pas l’air bien méchant avec sa couleur bordeaux. Je crois qu’il y aurait un beau sujet d’étude pour notre psychologue, Kim Bardiau.
Il y avait également toutes ces machines que je ne voyais pas, mais que j’entendais derrière moi. Des bip bip et on se met à gamberger en espérant que ces bip bip ne se transforment en tuuuuuuut comme dans les films
Après avoir vécu le pire du pire, c'est-à-dire le retirement des drains, je ne savais pas que l’on puisse avoir si mal, me voici transporté en chambre stérile avec sas pour permettre aux visiteurs de se déguiser et mettre le fameux masque. Je vais y vivre quelques semaines. Trois semaines après l’opération commence un réapprentissage de la vie. Le dernier drain est parti et je dois petit à petit retrouver une certaine autonomie, il faut réapprendre à marcher avec des situations comiques car le lève toi et marche n’est pas aussi facile et la première fois je me suis flanqué par terre, ensuite c’est en me mettant à genoux pour chercher quelque chose dans le frigo que je me suis retrouvé coincé à quatre pattes ne sachant plus remonter dans mon lit ni atteindre la sonnette pour demander de l’aide. La patience, la gentillesse, l’exigence et la persévérance de l’équipe kiné de Françoise Montulet me furent indispensable dans la rééducation physique de ma nouvelle vie. Tout comme la gentillesse de la plupart des infirmières.
Après six semaines, je pu rentrer chez moi, non sans une certaine appréhension de quitter l’environnement sécuritaire de la clinique.

Me voilà donc rentré chez moi. Désormais je revois le visage de tous les miens. Par contre c’est moi qui sort masqué et ceci pendant six mois. Il a fallut habituer les commerçants à commencer par mon banquier. Notez, il y a bien des avantages à caractères sociaux. En effet, quelle belle occasion d’engager la conversation pour expliquer la situation. Un jour, à Bruxelles une vieille dame m’a accosté pour me dire que j’avais bien raison de mettre un masque car cela puait trop en ville.
Les premier mois j’étais euphorique : je vivais, je respirais j’avais tant de chose à rattraper. J’étais devenu tellement bavard que je fatiguais mon entourage…paraît-il.
Au début il y a les contrôles : d’abord hebdomadaire, puis bimensuels etc. Après les 3 premiers mois vint ce que j’ai appelé le gros entretien, idem à six mois et à un an. Ensuite cela s’espace de plus en plus.
Au début ces contrôles sont rassurants, du moins quand tout va bien. Le moindre problème est vite décelé. Plus tard, on en fait une compétition, en essayant de toujours augmenter les performances le pourcentage de capacité respiratoire et puis le test des 6 minutes combien de mètres en plus à chaque fois. Tout restant conscient qu’un jour cela va fatalement stagner.
Les docteurs Evrard et Bulpa nous demandent de faire de l’exercice et ils ont bien raison. Moi qui n’ai jamais fais de sport je me suis inscrit dans un club de Fitness près de chez moi et maintenant c’est devenu une drogue. J’y vais trois fois par semaine pendant 1 à 2 heures, je fais du vélo, de la musculation et de la natation. Je sais on ne voit pas grand mais c’était pire avant. Et cerise sur gâteau j’ai fait partie de la petite équipe de greffés de Montgodinne qui a participé aux jeux européens sportifs pour transplantés cœur et poumons qui se sont tenus fin juin à Vichy. Et j’ai ramené deux médailles: l’or pour le 100 m brasse et le bronze pour le 50 m brasse.
Et je vais de mieux en mieux malgré les effets secondaires de tous nos médicaments cortisone et autre. Pour la première fois depuis longtemps j’ai passé l’hiver sans voir de médecins.
Une de mes nièces de 27 ans m’a fait un superbe compliment lors des fêtes de Noël : « Restes comme tu es maintenant, car on aime le nouveau Vincent. » Oui le nouveau, c’est comme une nouvelle vie. Comme les chats, j’ai peut-être droit sept vies et je suis en tout cas déjà dans une deuxième. Une deuxième chance, que demander de plus à 50 ans.

 

Vincent Donnet

Fait à Rixensart le 15 avril 2008

et prononcé lors du colloque « Dons d’organe et transplantation au quotidien » organisé dans le cadre des 10 ans d’Oxygène à Mont-Godinne le 18 avril 2008

http://www.oxygenemontgodinne.be/transtemjerespire.html